Chapitre 43
— Tu m'aurais laissé mourir, pas vrai Rebecca ?
J'ouvris les yeux et jetai instinctivement un œil au réveil. Je venais à peine de m'endormir.
— Qu'est-ce que tu fais là Michael ? fis-je, l'esprit embrumé.
— Je t'ai demandé si tu m'aurais laissé mourir...
Il me fallut de longues secondes pour réaliser que je ne rêvais pas et qu'il se trouvait bien là, près du lit à quelques centimètres de moi.
— Mais qu'est-ce que...
Sa colère irradiait dans l'air comme un nuage toxique et m'oppressait la poitrine.
— Qu'est-ce que tu viens faire ici ? dis-je en déglutissant.
— Je venais voir comment tu allais.
Je remarquai tout à coup le sang qui coulait le long de son menton. Ses yeux d'argent étaient pleins d'une rage froide et déterminée.
Je haussai les épaules.
— Certainement mieux que celui ou celle dont tu viens de te nourrir.
— Comment es-tu entré ?
— Je peux aller où bon me semble sans y être invité. Ça fait partie de mes dons, tu l'as oublié ?
D'habitude, les vampires devaient être invités pour pouvoir pénétrer dans une maison, mais Michael n'avait jamais vraiment eu besoin de se soucier de ce genre d'obligations. Ça m'était complètement sorti de l'esprit.
— Alors, tu comptais vraiment m'abandonner et me laisser brûler au soleil ?
Je ne pris pas la peine de le détromper.
— Oui.
Un éclair de souffrance traversa son regard.
— Tu me hais à ce point-là ?
— Tu en doutes ?
— Tu es cruelle, dit-il d'un ton amer.
— Non, sincère.
— Ça revient à la même chose.
— Souvent, oui, admis-je.
— Qu'est-ce que tu me reproches au juste ? D'être venu à ta rescousse ?
Je haussai les sourcils.
— Je ne t'ai rien demandé. Je ne te dois rien.
— C'est vrai. Mais quand j'ai entendu que Felipe ne comptait pas laisser sa garde intervenir et que j'ai appris que tu traquais un démon-loup, j'ai eu peur pour toi...
— Oh, arrête, Michael, ne me fais pas le coup des violons, pas toi. Tu avais simplement envie de te distraire et de me harceler par la même occasion.
Il recula en soupirant.
— Tu me juges coupable par nature, jamais tu ne cherches à savoir si ce que je compte faire est bien ou mal. C'est complètement irrationnel.
— Si tu sous-entends par là que je me méfie des vampires, tu n'as pas tout à fait tort.
— Je t'assure que je cherchais seulement à te protéger.
C'était peut-être vrai mais je m'en moquais. Je voulais simplement qu'il déguerpisse et vite avant qu'un drame se produise et qu'il croise le chemin de Leonora.
— Je veux que tu t'en ailles.
— Le soleil est en train de se lever, Rebecca, dit-il en fermant les volets.
— Tu comptes dormir ici ?!!!
— Je ne crois pas qu'il y ait d'autre solution. Mais si ça peut te rassurer, je ne vais pas m'écrouler tout de suite comme un jeune vampire, j'ai la force de résister encore quelque temps, dit-il d'un ton suave, en ôtant sa chemise.
Il était magnifique, ça je ne pouvais pas le nier. Il fallait être bien moins attirée par lui que je l'étais, pour ne pas être captivée par ses cheveux d'argent, son torse musclé et son visage d'une beauté stupéfiante.
— Non mais attends... tu es sérieux ? demandai-je, en le regardant s'allonger sur le lit.
Il eut un rire qui provoqua d'étranges frissons le long de ma colonne vertébrale.
— Je sais que tu me détestes et que tu voudrais me voir mort, mais je sens ton désir, Rebecca, dit-il en attrapant mon bras et en me faisant basculer avec lui sur le lit.
Mayday... mayday...
— Laisse-moi, Michael !
Je tentai de me redresser mais il me maintenait sous lui, une main glissée sous mon tee-shirt qui me caressait délicatement les seins, l'autre dans ma petite culotte.
— Je peux me joindre à vous ? fit soudain une voix à la porte.
Bruce.
Les yeux du lycanthrope brûlaient d'une flamme jaune. Malheureusement, il n'eut même pas le temps de se transformer que le vampire était déjà sur lui et le projetait violemment contre le sol.
— Non ! hurlai-je, en me précipitant vers lui.
— Écarte-toi !
Les cheveux argentés de Michael recouvraient le visage de Bruce. Il était allongé sur lui et les ongles de sa main s'étaient transformés en d'énormes griffes. Le loup n'avait aucune chance de s'en sortir. Le vampire allait le tuer.
Je levai les mains et propulsai mon énergie sur le dos de Michael qui réagit en hurlant.
— Je te préviens, si tu ne le laisses pas, ma prochaine attaque risque d'être beaucoup plus violente, fis-je d'une voix glaciale.
Le vampire se tourna vers moi. Ses traits déformés par la fureur.
— Tu veux te battre avec moi à cause de lui ?
— Qu'est-ce que tu crois ? Que je vais te regarder tuer l'un de mes meilleurs amis sans réagir ? demandai-je en laissant ma détermination envahir mon regard.
— Je ne te crains pas, Rebecca. Et je n'ai aucune envie de te tuer. Tu le sais.
Je pouvais voir sa main sur le torse de Bruce. S'il arrachait son cœur, tout était terminé.
— Si tu lui fais le moindre mal, l'un de nous deux mourra, tu peux en être sûr, affirmai-je d'une voix glaciale.
Son expression se fit hésitante.
— C'est un loup. Tu es une Vikaris, que t'importe...
— Pourquoi est-ce que vous faites autant de bruit ?
Mon sang se glaça et je tournai la tête vers l'entrée de la chambre. Leonora fronçait les sourcils, l'esprit encore embrumé par le sommeil.
— Ce n'est rien, ma belle, file te recoucher, ordonnai-je avant qu'elle n'avance vers nous et ne nous aperçoive.
— Mais je le sens, il y a...
— Va te coucher, Leonora ! cria Bruce d'une voix étouffée par la pression exercée par le vampire.
Elle avança encore de quelques pas vers nous et vit les deux hommes allongés sur le sol.
Le vampire leva les yeux vers elle puis tout à coup se figea.
— Qui est-ce ? demanda-t-il en se relevant.
Il paraissait maintenant se désintéresser totalement de Bruce. Mon cœur battait à tout rompre.
— Sa fille, fis-je en lançant un regard en direction du loup, toujours étendu sur le sol.
Michael ricana puis me lança un regard noir.
— Non. « Ta » fille, corrigea-t-il d'un ton cinglant.
— Ne...
— Inutile de mentir, m'interrompit-il. La ressemblance entre vous deux est beaucoup trop frappante pour être ignorée. Tu comptais me cacher ça, pendant combien de temps, Morgane ?
La manière dont il prononçait mon véritable prénom était comme une insulte.
— En quoi est-ce que ça te concerne ? C'est ma vie privée, Michael et tu n'as aucun droit de...
— Ah non ?
Sa bouche était plissée. Ses yeux flamboyaient d'une rage contenue. Il me prit violemment le bras et je hurlai de douleur.
— Pourquoi as-tu fait ça ? Comment as-tu pu laisser ce loup te faire un enfant ? gronda-t-il en s'approchant si près de moi que je pouvais sentir son haleine de glace se poser sur mes lèvres.
— Laissez ma mère tranquille, hurla soudain Léo avant de se jeter sur lui.
Elle était forte, rapide, et ses pouvoirs avaient considérablement augmenté depuis qu'elle avait bu le sang de Raphaël mais pas assez pour combattre un vampire âgé de plus de mille ans.
— Léo, non ! criai-je.
Michael avait arrêté son attaque en plein vol.
— Lâche-la ! Michael, je t'ai dit de la lâcher !
Mais il ne m'entendait pas. Il la maintenait par les bras, ses yeux rivés sur les crocs qui dépassaient de la bouche de ma fille.
— Qu'est-ce que... demanda-t-il d'un ton estomaqué.
— Lâche-la, répétai-je.
Il leva enfin les yeux vers moi puis lui libéra les bras d'un geste mécanique. Il était sous le choc. Tétanisé.
— Fous le camp, Michael ! Je ne plaisante pas...
Mais il ne bougeait pas et fixait Leonora comme s'il regardait un fantôme.
J'en aurais bien profité pour le tuer mais je me voyais mal expliquer à ma fille que le meurtre de son père pouvait drôlement nous faciliter la vie et que j'avais profité d'un moment de faiblesse de sa part pour m'en débarrasser.
— Quel âge a-t-elle ? finit-il enfin par articuler.
— J'ai 10 ans, murmura Leonora.
Et merde.
Un grand silence avait envahi la pièce. Comme si le temps s'était soudain arrêté. Son regard alla successivement d'elle à moi puis de moi à elle. Sans même prononcer un mot. Le grand méchant vampire, le monstre millénaire, le fils bâtard de Satan en personne n'arrivait pas à en croire ses yeux.
— Est-ce que... est-ce qu'elle est... ? finit-il enfin par balbutier.
— Oui, fis-je dans un souffle.
Alors, il me gifla. Oh, pas suffisamment fort pour me mettre K.-O. mais assez pour que j'arbore demain, un très joli bleu sur la joue. J'allai répliquer lorsque je vis l'éclair de souffrance qui traversait ses yeux.
— Dis-lui qui je suis, Rebecca. Dis-le-lui maintenant, fit-il en s'approchant de Leonora.
— C'est inutile, dit-elle d'un ton dur. Je sais parfaitement qui vous êtes. Je vous ai tout de suite reconnu.
— C'est vrai?
— Oui, dit-elle en reculant vers Bruce qui assistait silencieusement à la scène.
— Tu as peur de moi ?
— Non, mais je ne parle pas aux gens qui frappent ma mère, cracha-t-elle.
Il avança vers elle mais elle glissa aussitôt sa main dans celle du loup.
— Ne le touche pas, Leonora, c'est un animal, siffla Michael, avec dégoût.
— C'est mon baby-sitter et mon ami, répondit-elle en le défiant du regard.
Je vis la main de Bruce serrer celle de ma fille.
Michael se tourna vers moi d'un air furieux.
— Tu as confié l'éducation de notre fille à cette bête !!!?
— Je crois que tu ne comprends pas, Michael. Léo ne te connaît pas, et ton comportement à l'égard des gens qui comptent le plus pour elle ne lui donne absolument pas envie de faire plus ample connaissance. Pas vrai ma chérie ?
Elle secoua la tête.
— Oh non...
— À qui la faute si elle ne me connaît pas ? Hein Morgane ? fit-il d'une voix triste.
— C'est ton vrai nom ? demanda-t-elle en se tournant vers moi.
— Oui, ma chérie. Mais je l'ai quitté bien avant ta naissance.
— Je préfère Rebecca, fit-elle.
— Moi aussi. Vous voulez bien nous laisser, maintenant. Je dois parler avec Michael seule à seul.
Bruce me lança un regard inquiet, mais je tournai la tête. Ma fille vint vers nous. Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa un léger baiser sur la joue de son père qui, sous l'effet de la surprise, resta prostré.
— Sois gentil, lui souffla-t-elle avant de s'éloigner.
La petite finaude essayait d'amadouer son père en imitant les fillettes humaines avec le leur. Elle espérait sans doute que ça contraindrait le vampire à mieux se comporter. C'était finement joué.
— Elle... elle vient de m'embrasser? balbutia-t-il d'une voix blanche.
— Il faut croire, répondis-je doucement, en m'asseyant au coin du lit.
— Pourquoi ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit à propos du bébé ? demanda-t-il.
Toute sa peine se sentait dans sa voix. C'était bien la première fois que je le voyais réagir d'une manière si humaine.
— Je ne pouvais pas. Les Vikaris me traquaient. Tu n'étais pas encore assez puissant pour nous protéger à la fois d'elles et de ceux de ton espèce. Comment crois- tu que les tiens auraient réagi s'ils avaient appris son existence ?
— J'ai senti... j'ai senti le sang de Raphaël en elle. Que lui a-t-il fait ? Comment a-t-il osé ?
— Il lui a sauvé la vie. Elle est à moitié mortelle, Michael. Il n'y avait pas d'autre solution.
Il attrapa mes mains, le visage défait.
— Mais tu sais ce que ça signifie, non !!!?
— Oui, répondis-je calmement, mais je viens de te le dire : il n'y avait pas d'autre choix.
— Elle est de son sang maintenant. De sa lignée. Son infant. Il a plus de droit sur elle que j'en possède.
— Il n'en usera pas.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sais, c'est tout.
Il émit un ricanement.
— Parce que tu l'aimes ?
— Non. Parce que s'il se permettait de me l'enlever, je le tuerais. Et il le sait.
Il me dévisagea et sut que je ne mentais pas.
— Tu pourrais faire ça ? Malgré les liens qui vous unissent ?
— D'après toi ? dis-je en souriant d'un air glacial.
Ses yeux se plongèrent dans les miens et il se mit à rire.
— Oui. Oh ! Oui, tu pourrais.
Je vis tout à coup son corps se détendre et se relaxer.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle.
— Tu ne lui appartiens pas Rebecca. Aucun esclave marqué ne pourrait lever la main contre son maître. Voilà ce qui est drôle, continua-t-il d'un ton léger.
Alors ça, ce n'était pas très malin de ma part...
— À ta place, ça ne m'amuserait pas de savoir que je possède encore mon libre arbitre, Michael.
— Pourquoi ?
— Parce que ça signifie que Raphaël n'a pas eu à user de ses pouvoirs pour faire de moi sa femme.
— Tu n'es pas sa femme mais la mienne et Leonora est ma fille. Je crois qu'il est grand temps que tu te fasses à cette idée, ma chérie.
— Je ne t'aime pas, Michael, répondis-je fermement.
— Je sais. Mais il y a tellement de choses qui peuvent nous lier à jamais, toi et moi, dit-il en glissant sa main autour de ma taille.
Je pensais qu'il parlait de Leonora, mais soudain je sentis un léger souffle dans ses cheveux et ses yeux s'allumer comme deux soleils d'argent.
— Non. Non, Michael, fis-je en essayant de me relever, mais il m'allongea entièrement sur le lit, son corps au-dessus du mien.
Je posai mes mains sur son torse, appelai la magie de toutes mes forces, mais il était trop tard. Il avait déjà posé sa bouche sur la mienne et son pouvoir s'était glissé en moi. Plus fort, plus puissant, plus venimeux, que celui qu'il m'avait laissé entrevoir dix ans plus tôt. Et je me sentis perdre complètement pied.
Je savais que l'un des plus grands dons de Michael était de faire naître le désir. Un désir si intense qu'il était pratiquement impossible d'y résister. Je savais aussi qu'il n'avait pas essayé d'utiliser ses pouvoirs contre moi, depuis son arrivée, parce qu'il me pensait liée à Raphaël. Le lien créé par les marques d'un vampire était censé m'immuniser contre ce type d'attaque. Mais je n'étais pas l'esclave de Raphaël. Il n'était pas mon maître. Et ça changeait complètement la donne.
J'avais vraiment été très stupide. Et maintenant qu'il me tenait, j'allais en payer le prix.
Je sentais ma peau réagir sous ses caresses, mes seins devenir durs et des gémissements incontrôlables s'échapper de ma bouche.
— Arrête, arrête ! haletai-je tandis que mon corps se cambrait de désir et qu'il déchirait mon tee-shirt.
Je devais absolument me concentrer, faire appel à mes pouvoirs mais mon esprit était embrumé par le plaisir provoqué par les doigts de Michael qui s'introduisaient lentement en moi.
— Tu n'imagines pas à quel point tu m'as manqué, mon cœur, chuchota-t-il tandis que je tentais de lutter contre les frissons qui me secouaient.
— Non... fis-je d'une voix suppliante.
Les marques n'étaient pas, comme je l'avais cru, la pire chose qu'un vampire puisse imposer à quelqu'un. Non. La pire chose c'était ce qu'il était en train de me faire, là, maintenant.
Je le vis baisser son pantalon et faire glisser ma culotte le long de mes jambes.
Dans ma tête, quelqu'un hurlait. Et c'était moi.
C'est alors que soudain, je sentis l'énergie froide et douce de Raphaël m'envahir.
— Ne le laisse pas, tu es plus forte que ça, dit-il, doucement.
Son timbre était calme mais je sentais sa fureur, son désespoir et sa haine.
— Aide-moi, répondis-je en sentant mes jambes s'ouvrir sous Michael sans que je puisse me défendre.
Puis soudain, un hurlement déchira l'air, provoquant une seconde d'inattention de sa part suffisante pour que je puisse redresser mes défenses mentales et balayer le temps d'un instant le pouvoir de Michael hors de ma tête.
— C'est Leonora ! fis-je en le jetant sur le sol.
Il se releva aussitôt, enfila son pantalon à la vitesse de l'éclair tandis que je me ruais sur le peignoir de Bruce. Puis nous nous précipitâmes, affolés, vers le salon.